Épisode 18. San José del Fragua, le 3 décembre, 21h40. Chez Tamara.

Dago m’a demandé de porter aussi mon bagage chez son amie. D’après lui, c’était plus sécuritaire. Rogelio m’a fait signe de me détendre et de suivre le mouvement lorsque j’ai sorti mon portefeuille-caïman et que j’ai commencé à traîner mes pas, l’air contrarié.

Tamara nous a reçus avec des tasses d’agua de panela, une boisson chaude sucrée à base de canne, et des tranches de fromage salé, le dernier repas que je prendrais pendant des jours. Ses cheveux ressemblaient à des lassos et elle portait des lunettes aux lentilles obscures malgré la faible lumière projetée par une ampoule solitaire dans le salon. On ne pouvait pas deviner son âge, une ombre de vieille femme, une voix et des mouvements de gamine. La brise entrait par les fleurons d’aération qui cernait la partie supérieure des murs. Assise dans une berceuse faite en câbles élastiques, la femme nous regardait manger tandis qu’elle agitait son éventail et faisait claquer ses gros bracelets dorés.

—Et comment vous avez trouvé l’Hôtel Manigua? a-t-elle demandé. Notre Abraham se porte-il bien?

Encore avec un morceau de fromage dans la bouche, je me suis rendu compte qu’elle s’adressait à moi.

L’œil visible de Dago brillait en attendant ma réponse. Elle me semblait déjà lointaine, l’image du réceptionniste avec sa pipe et ses mots croisés, encore plus que les tangos et les émissions sportives transmises dans sa vieille radio. J’ai failli répondre n’importe quoi pour ne pas avoir l’air hébété, mais Dago a pris la parole.

—Abraham vous a donné quelque chose qui m’appartient.

—Que voulez-vous dire par… j’ai bégayé.

—Soyez sans crainte, Monsieur Saad, Tamara est intervenue. Abraham nous a prévenu que vous seriez en route. Il a profité pour nous faire parvenir un petit paquet qui contient une substance... Vous n’avez qu’à nous la rendre. Il ne vous arrivera rien.

J’ai senti le cuir du portefeuille-caïman peser contre ma hanche. L’idée même de le sortir me dégoûtait. Tout à coup, mon regard s’est posé dans un coin. Un ventilateur m’observait avec sa tête ronde et tournante.

—Qu’attendez-vous, bordel! Dago a poussé.

Rogelio a cessé de boire son agua de panela. L’air était tendu.

J’ai ouvert lentement le portefeuille-caïman. Mon pouls cognait à mes tempes. Mes doigts ont touché la texture du papier de mes cartographies hydrologiques, les notes de Benedetto et Scholl, le métal de mon appareil photo… puis le paquet emballé en plastique, son contenant sablonneux.

—Et voilà, j’ai dit en le mettant lentement sur la table.

—Bravo, Monsieur Saad! Tamara a dit. Vous ne l’avez pas encore ouvert. Vous êtes quelqu’un à qui on peut faire confiance.

—Qu’est-ce que c’est? Rogelio a demandé d’un ton naïf.

Dago et Tamara ont ri.

—Monsieur Mendoza, Tamara a ricané, ce qu’il y a dedans est quelque chose que l’archevêque de Florencia n’aime pas partager avec vous lorsque vous lui rendez visite pour lui offrir en cadeaux vos bougies et vos cierges!

—Ce que les saints cachent sous leur soutane, Dago a ajouté.

Les pupilles bleues de Rogelio se sont noircies. Les rumeurs qu’il avait entendues à propos des débauches du clergé à Florencia, s’avéraient-elles vraies? Les belles actrices qui arrivaient de Bogotá, les voitures flambantes avec des vitres teintées, les gardes du corps avec un accent étranger... les Il ne voulait pas l'accepter. Il fallait que sa Maison-Dieu se tienne débout malgré la décadence du monde. Rogelio a versé une larme.

—Très bien, Sebastián. Dago a dit en posant la main sur mon épaule. Vous avez passé cette épreuve. Même si vous ne saviez pas que vous en avez une!

—Maintenant, il nous faut faire une autre lecture, Tamara a prononcé lentement en se levant de la berceuse. On a fouillé dans votre passé, on vous a testé dans le présent. Maintenant regardons votre futur.

Dago s’était mis à dégager la table et Tamara y a mis un paquet de cartes.

—Êtes-vous prêt pour que je vous lise le Tarot, Monsieur Saad?

J’ai haussé les épaules, plus par fatigue que par bavardage. Autrement, je me serai exprimé avec arrogance et scepticisme en contre de ces supercheries.

—Pourquoi pas? ai-je soufflé.

—Et bien, Monsieur Saad, vous n’aurez qu’à prendre trois cartes des arcanes majeurs. Sachez que le destin de celui qui vous lit est aussi écrit dans le vôtre.

—Qu’est-ce que vous voulez dire?

—Il y a toujours une âme qui suit vos aventures quelque part dans le monde ou dans une autre époque… elle doit être imprégnée de vous… alors, cette âme aura aussi sa lecture du Tarot de Tamara. Commençons…


Lecture de Tarot

Tamara mélange les cartes…
Elle vous regarde longuement, puis dit :

« Tirez trois cartes une seule fois. Elles vous concerneront... et concerneront aussi celui ou celle qui lira cette scène. »

Commentaires

Articles les plus consultés